samedi 8 décembre 2012

Les ombres sur les collines

"Elles obsèdent, les ombres sur les collines, elles te regardent, lorsque tu jettes un oeil à ta fenêtre. Tu attends le soir pour croiser leur présence, elles ont des nuances grises de cendre.
Pourtant, il est beau, ce paysage, il est si grand, si digne d'une toile impressionniste, avec ses verts tendres du printemps, ses ors de l'été et ses camaïeux fauves de l'automne, même le cristal de l'hiver rend aux champs et aux arbres comme une touche duveteuse accueillante.
Seulement, le soir, les ombres grandissent.
Elles se répandent insidieuses et obsédantes en nappes sombres et troubles, elles agrandissent les reliefs et ferment le ciel.
Elles sont là, elles veulent happer les maisons et les gens. Quand le soir arrivent, elles s'installent en voulant étouffer les foyers et les lumières. Tous les soirs, c'est pareil.
Puis la nuit leur offre le règne total, un empire du néant, avec elles, les goules et les spectres viennent étrangler et foudroyer dans leur sommeil les vieux et les bébés. Elles chuchotent aux meurtriers des pensées terribles, elles incitent les voleurs à nous dépouiller.

Toi, mon gars, je sais pas d'où tu viens, mais je sais avec qui t'es rentré. Tu dis que t'es de chez nous, mais c'est pas ton froc de l'armée qui va me convaincre. J'préfère encore les boches qu'une gueule d'ombre comme toi. T'es avec elles, tu dois mariner avec depuis si longtemps qu'elles t'ont repeint la gueule en noir. Tu dis qu'c'est la guerre mais j'suis pas demeuré.
C'est la guerre tous les soirs. C'était la grande Guerre aussi, dans l'temps. Y m'ont pas pris, pour faire le poilu. Instable, qu'ils ont dit...j'aurais du y cracher d'ssus, au sergent.
Ils m'ont pas pris moi, et y t'auraient enrôlé?
Mon gars, j'sais qu'les boches, ils ont voulu leur revanche mais toi, t'es pas des nôtres.
Tu sais c'que j'en fais, des ombres comme toi? Allez, barre-toi, avant recevoir un bon coup d'chevrotine! "

L'homme tenait son fusil fermement. Le soldat le scrutait. Il n'avait rien mangé, rien bu. On le chassait depuis des jours, des semaines, des maisons, il avait cru que dans la campagne, cela aurait été différent, qu'ils auraient compris, qu'ils auraient eu moins peur. Il avait échappé à la tuerie de Dunkerque, il ne savait plus trop comment. Il se hâta de repartir de la ferme et s'enfonça, une ombre dans la nuit des collines.
La lune éclairait sa marche. Son visage sombre montrait des yeux noirs francs. Le soldat avait froid, il n'avait pas l'habitude de ce temps de glace. Il grimpa un sentier quand il entendit un craquement. En se retournant, il fit face à un autre homme.
Celui-ci avait un béret et  aussi une arme à la main...

"Mon gars, qu'est-ce que tu fais ici? T'as croisé Firmin? On dit qu'il a le ciboulot ramolli...Ben, t'as de la chance d'être encore en vie! Suis-moi et fais pas de bruits. Il pourrait encore nous partir après...Pour l'instant, faut te cacher et te nourrir. Allez, viens!"

Dédié aux soldats dit "indigènes", qu'on a laissé à Dunkerque mourir sous les balles des allemands du 20 mai au 6 juin 1940, ou que la population apeurée a trop souvent chassé comme des malpropres, voire donné aux nazis...au lieu de les cacher.



        
 

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